Martin Winckler
© Radio FranceA quoi sert un archéologue ?
Chronique du 4 Décembre 2002

L'archéologie, discipline scientifique qui s'intéresse aux vestiges du temps passé se compose de deux volets, l'archéologie "programmée" et l'archéologie "préventive". L'archéologie programmée concerne les grands sites au contenu très riche qui peuvent être étudiés durant de nombreuses décennies. Ces sites sont rachetés par l'Etat, les régions ou les départements, afin de pouvoir être fouillés pendant le temps nécessaire. Ils deviennent le laboratoire de nouvelles méthodes d'analyse. Ils permettent aux étudiants bénévoles de se former pendant leurs étés sous la direction des chercheurs en charge des différents sites. Comme exemples d'archéologie programmée, citons le site de Tautavel dans les Pyrénées Orientales, qui a révélé certaines des traces les plus anciennes de la présence humaine sur le continent européen ; le site préhistorique de Pincevent (Seine et Marne), démarré par André Leroi-Gourhan, qui a permis de déterminer avec précision le mode d'habitat nomade de nos ancêtres à la fin du Paléolithique (il y a plus de 20 000 ans) et a permis de reconstituer la chaîne opératoire d'un outil, depuis l'acquisition de la matière première jusqu'à l'abandon définitif de l'objet... L'archéologie programmée quoique spectaculaire, ne représente que 10% des fouilles réalisées en France. L'archéologie " préventive ", elle, concerne toutes les fouilles dites d'urgence, réalisées lors de travaux d'aménagements comme les structures routières, les constructions de ligne de chemin de fer, ou les constructions urbaines privées ou publics, par exemple. C'est ce type de fouilles, effectuée par des archéologues " urgentistes ", en quelque sorte, qui s'est occupé des pirogues néolithiques découvertes sur les quais de Bercy, à Paris, du cimetière gaulois mis au jour à Bobigny tout récemment lors de la construction de l'hôpital et qui intervient sur plusieurs sites révélés par les travaux du TGV est. L'archéologie préventive est limitée dans le temps et ses opérations durent quelques jours à quelques semaines ; elle n'empêche pas la destruction finale du site et ne retarde que peu les travaux entrepris par les aménageurs. Elle représente 90% des fouilles réalisées en France, et c'est le moteur de la recherche archéologique dans notre pays puisque à l'heure actuelle tous les nouveaux sites sont mis au jour lors de travaux d'aménagement. Elle emploie les trois quarts des archéologues français, c'est à dire environ 1500 personnes. En France, les archéologues n'ont cependant obtenu un statut officiel qu'en 2001. C'est en effet l'an dernier seulement qu'une loi a fixé pour la première fois le financement de l'archéologie préventive selon le principe pollueur-payeur : autrement dit, l'aménageur, qu'il soit privé ou public, subventionne les fouilles du site qu'il va faire disparaître en construisant son ouvrage. Les archéologues sont des savants précieux, mais le Sénat a l'air de penser qu'ils ne servent à rien. Car, le 15 novembre dernier, sous la pression probable du lobby immobilier, qui doit trouver que ça leur coûte trop cher, les sénateurs ont abrogé le financement public de l'archéologie préventive et supprimé la réglementation qui permet de geler un site majeur afin de l'étudier. Si cet amendement est maintenu, l'étude du patrimoine archéologique national sera très menacée. Les archéologues sont de drôles d'oiseaux. Ils ne sont qu'une poignée, ils pratiquent une discipline difficile, qui demande de nombreux sacrifices, de nombreuses années d'étude pour obtenir un emploi mal rémunéré, passer des étés entiers à suer corps et âme en logeant sous des tentes... ou passer l'hiver en pull à genoux dans la boue. Mais ce boulot, ils le font par passion, et ils tiennent à leurs outils. Ils manifestent à Paris, aujourd'hui mercredi, à 15 heures, au Panthéon, pour qu'on ne leur coupe pas les vivres. Si contrairement aux sénateurs, vous pensez qu'ils servent à quelque chose, allez les soutenir. Je suis sûr qu'ils auront beaucoup d'histoires à vous raconter.